Si nombre de personnes sont « nées » un certain 12 juillet 98, le virus m’a atteint en juillet aussi, mais en 1982.
Ce soir-là, le 8 juillet 1982 exactement, au stade Sánchez Pizjuán de Séville, j’avais 11 ans, et ma vision du monde ne fut jamais plus comme avant. Ce soir-là, j’ai vu des adultes pleurer, sincèrement, ce soir-là j’ai appris les mots émotion et injustice, ce soir-là, j’ai été bouleversé, ce soir-là je suis tombé amoureux d’un sport à peine découvert, ce soir-là, l’équipe de France a été battue par l’équipe de la République Fédérale d’Allemagne, plus forte dans sa tête. Et j’ai compris le sens du mot réalisme, et me suis souvenu de La Fontaine : rien ne sert de courir …
Un autre philosophe a parfaitement résumé l’événement
« Aucun film au monde, aucune pièce ne saurait transmettre autant de courants contradictoires, autant d’émotions que la demi-finale perdue de Séville. » Michel Platini
L’équipe allemande est alors composée de grands noms, jouant dans de grands clubs. Des noms que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître : Karl-Heinze Rummenigge, Horst Hrubesch, Pierre Littbarsky, Klaus Allofs, Paul Breitner …
Face à cette équipe bien rodée, l’équipe de France, emmenée par Michel Platini (eh oui, avant de devenir un peu gros et patron de l’UEFA, Michel Platini jouait au foot !). A part lui, aucun nom connu en dehors de nos frontières. Allez, Didier Six peut-être, qui jouait en Turquie.
En tous cas, moi, je ne les connaissais pas. Platini mis à part. Déjà, les pubs aidaient à sa notoriété. « Fruité c’est plus musclé ! » vantait la boisson immonde et sucrée que Michel buvait au goulot dans des spots qui n’étaient déjà plus de la réclame.
J’avais découvert ces joueurs prendre une rouste mémorable face aux anglais lors du premier match, où Bryan Robson pulvérisait le record du but marqué le plus rapidement dans une Coupe du Monde (record détenu alors par un français, Bernard Lacombe, en 78). La compèt’ commençait bien.
J’ai découvert ces joueurs se rebeller contre le Koweit – ce jour-là j’ai aussi appris l’existence des émirs et des cheiks – et trois matches plus tard, j’ai appris qu’un lutin d’un mètre 63 pouvait marquer de la tête contre des irlandais, fussent-ils du nord. Giresse. Il m’avait fait bondir, et je ne savais pas qu’il allait me faire traverser la pièce en hurlant de joie quelques jours plus tard !
Alors ce soir du 8 juillet, nous n’étions pas favoris.
Et tout a commencé comme prévu, quand Pierre Littbarski a ouvert le score. Nous allions être mangé tout cru. Et puis nos petits bleus se sont rebellés. Malgré la barre touchée par un gosse de 19 ans, Manuel Amoros, malgré un coup de hanche d’un gardien sous amphétamines (il l’a reconnu bien des années après) non sanctionné, malgré une reprise de Trésor et celle de Giresse, malgré le fait qu’à 3 buts à 1 et quelques minutes à jouer, alors que n’importe quelle équipe au monde aurait « fermé la porte », et bien les allemands ont gagné. C’est comme ça.
A trop vouloir bien faire sans doute. Il y a des moments, encore aujourd’hui, où je me demande comment il est possible que ce match ait été perdu.
La Fontaine ! Encore une fois, il faut relire La Fontaine, il avait déjà raconté ce match :
La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
Sire, répond l’Agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle ;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’Agneau ; je tette encor ma mère
Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
Je n’en ai point. C’est donc quelqu’un des tiens :
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos Bergers et vos Chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge. »
Là-dessus, au fond des forêts
Le loup l’emporte et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
Attentions les bleus, relisez La Fontaine, vendredi, il pourrait vous en cuire
Quand je vous dis que le football mène à tout !